Devoir de mémoire : Discours d’Alassane Dramane Ouattara au Forum de la réconciliation nationale (2001). [Voir ci-dessous le discours de l’ex-président en 2001].
Devoir de mémoire : Discours d'Alassane Dramane Ouattara au Forum de la réconciliation nationale (2001).
Former Ivory Coast Prime Minister Alassane Ouattara waves to supporters 30 November 2001 on arrival at Abidjan airport after a self-imposed exile. Ouattara is to testify 01 December before the ongoing National Reconciliation Forum. AFP PHOTO GEORGES GOBET (Photo by GEORGES GOBET / AFP) (Photo by GEORGES GOBET/AFP via Getty Images).
Monsieur le Président du Directoire, le Premier Ministre Seydou Diarra,
Mesdames et Messieurs les membres du Directoire,
Mesdames et Messieurs les membres statutaires du Forum,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les Représentants des Présidents du Gabon, du Sénégal et du Togo,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Chefs religieux,
Mesdames et Messieurs les Chefs traditionnels,
Mesdames et Messieurs,
Chers frères et chères soeurs,
Je souhaitais ce moment et je l’attendais depuis longtemps, très longtemps. C’est la première fois, en effet, depuis que j’ai quitté le 9 décembre 1993 mes fonctions de Premier Ministre et de Chef de gouvernement que j’ai l’occasion de m’adresser à tous mes compatriotes sur nos média d’Etat. J’ai tellement besoin de vous parler sans intermédiaire chers frères et sours que le temps qui m’est accordé me paraît insuffisant.> Nos chefs traditionnels qui m’ont fait l’honneur de venir me rencontrer, il y a quelques jours à Libreville au Gabon, peuvent en témoigner. Il m’a fallu six heures pour leur dire ce que je désirais leur communiquer. Je n’avais jamais eu l’occasion de le faire auparavant. Ce matin, ils sont encore dans cette salle.
Je profite de l’occasion pour les saluer et les remercier pour le rôle important qu’ils ont joué dans le règlement de la crise que traverse notre pays.
Je vous suis particulièrement reconnaissant à vous Monsieur le Président du Directoire, Monsieur Seydou Diarra, et à tous vos collaborateurs de m’offrir la possibilité aujourd’hui de faire partager avec nos concitoyens ma passion pour notre pays, mon ambition pour la Côte d’Ivoire qui nous appartient à tous, ma vision de l’avenir, mais aussi mes préoccupations. Je voudrais ici vous exprimer mes profonds regrets de n’avoir pas pu répondre au rendez-vous du 13 novembre dernier. Vous en connaissez les raisons. C’est l’occasion pour moi de vous rendre hommage à vous, Mesdames et Messieurs du Directoire et plus particulièrement au Premier Ministre Seydou Diarra pour les efforts que vous déployez pour que les Ivoiriens acceptent de se donner la main pour construire ensemble notre beau pays, malheureusement déchiré par tant de querelles inutiles. En ce qui me concerne, je suis sûr que nombreux sont nos compatriotes qui attendent que je lève définitivement des coins d’ombre de ma vie et de mon histoire parce que tant de choses ont été dites sur moi, ma famille et mes parents. En effet, pendant huit ans, j’ai été l’objet d’une véritable campagne de dénigrement dans certains journaux, à la Radio Nationale et à la Télévision nationale sans que la parole me soit donnée pour faire des suggestions ou pour répondre aux calomnies et contre-vérités qui ont été distillées dans l’opinion contre moi. Que n’a-t-on pas dit et écrit sur mon compte, sur ma famille, sur mes parents, sur mes frères et sours et sur nos proches ?
Pour mieux m’exclure du débat politique national, j’ai été tour à tour traité d’étranger, de faussaire, d’usurpateur, et d’ennemi de mon pays que je crois pourtant avoir servi avec loyauté et honnêteté durant toute ma carrière. Je vous parlerai donc d’abord de ma famille, de moi, de ma carrière, de la question de ma nationalité, de mon bilan en tant que Premier Ministre de 1990 à 1993, de la succession du Président Félix Houphouët-Boigny. Je sais que cela intéresse beaucoup certains de mes compatriotes. Il faut répondre à leur attente en apportant tous les éclaircissements nécessaires. Même si, ce qui essentiel à mes yeux, c’est la recherche des voies et moyens pour aboutir à une vraie réconciliation. Dans la dernière partie de mon exposé, je vous livrerai mes réflexions sur la situation économique et sociale de notre pays avant de vous faire part de ma vision pour que notre chère Côte d’Ivoire retrouve sa sérénité et renoue avec la prospérité.
ALASSANE OUATTARA, QUI SUIS-JE ?
Je me présente. Je suis Alassane Ouattara, né le 1er janvier 1942 à Dimbokro comme l’atteste mon acte de naissance. La déclaration de naissance établie par le Médecin Capitaine BERGOUNIOU peut être consultée à tout moment et en toute liberté à Dimbokro. Mon père s’appelait Dramane Ouattara et ma mère s’appelle Nabintou Ouattara née Cissé. Mon père Dramane Ouattara est Ivoirien. Il est de Kong en Côte d’Ivoire, descendant de l’Empereur Sékou Ouattara, bien connu des historiens de notre pays. Après avoir été enseignant, il est devenu représentant de la CFAO et commerçant.
De Kotobi, il s’est installé à Dimbokro où je suis né et où se trouve encore notre cour familiale, occupée aujourd’hui par mon frère Sinali. Dramane Ouattara est très connu dans la boucle du cacao à Bongouanou, à Kotobi où est né Gaoussou, mon grand frère, présent dans cette salle. Mon père a eu à exercer à Sindou non loin de la frontière ivoirienne, les fonctions de chef traditionnel de village. Sindou faisait partie de l’ancien empire de Kong qui couvrait alors une partie de la Côte d’Ivoire, du Mali et du Ghana. Je suis de la lignée de l’Empereur Sékou Ouattara, fondateur de l’Empire de Kong au début du 17ème siècle. Le 1er de mes ancêtres qui a foulé notre sol vers les années 1700 s’appelait Tiéba. Il était accompagné de ses enfants Sékou (dont je suis de la sixième génération), Famagan, Dabla et Karakara. C’est son fils Sékou qui a est le fondateur de Kong.
Sékou Ouattara, souverain des Etats de Kong a donné naissance à Djoridjan Ouattara, qui lui-même a donné naissance à Soumaoulé Ouattara, qui à son tour a mis au monde Aboubacar Ouattara, mon grand-père. Et c’est vers 1888 que naquit mon père Dramane Ouattara. Vous savez que je parle d’une époque où les frontières n’existaient pas. Nos traditions et les règles de succession dans ces chefferies ignoraient les frontières héritées de la colonisation. C’est ainsi que conformément aux règles et procédures de succession propres à chaque communauté, mon père un Ivoirien authentique, descendant de Sékou Ouattara s’est retrouvé chef à Sindou. Bien qu’étant chef à Sindou, il n’a jamais cessé d’être Ivoirien. A preuve, à chacun de ses passages entre la Haute-volta et la Côte d’Ivoire, les autorités frontalières constataient ses allées et venues dans son passeport ivoirien. Nos parents Akan savent bien de quoi je parle.
Ainsi, des Ivoiriens règnent sur des villages situés au Ghana et en Côte d’Ivoire des Ghanéens sont chefs. C’est le cas du Roi de Krinjabo dans le Samwi qui a été Capitaine de l’armée ghanéenne. Une anecdote : Quand mon père était à Sindou, il avait sa grande radio Grundig fixée en permanence sur les fréquences des émissions de la radio ivoirienne parce que à tout moment, il voulait des nouvelles de chez nous. Pour lui, c’était le fil qui le rattachait à son pays en dehors des visites qu’il recevait et des voyages qu’il effectuait à Dimbokro et à Kong. Faut-il encore le rappeler? Mon père, Dramane Ouattara, n’a jamais été voltaïque ou burkinabé. J’en veux aussi pour preuve sa carte nationale d’identité établie le 20 mars 1963 à Dimbokro par le commissaire de police de l’époque et non en 1952. La voici ! Le Directoire du Forum en a pris connaissance.
Quant à ma mère, elle est originaire de Gbéléban dans le département d’Odienné.
Elle est née à Dabou où mon grand-père Ibrahim Cissé a passé une bonne partie de sa vie au quartier Dioulabougou, entre la gare routière et la Mosquée. Mes compatriotes Adjoukrou le connaissaient très bien. Il avait des plantations à Akakro où je suis allé bien souvent le voir. Tenez, l’un de mes oncles s’appelait Mamadou Akakro. J’ai eu la chance d’avoir une mère dont les parents étaient amenés à se déplacer beaucoup hors de Côte d’Ivoire à cause de leurs activités. Ils étaient pour cela obligés d’avoir des papiers. A titre d’exemple, ma mère m’a remis le passeport de mon grand-père Ibrahim Cissé, né en 1868 à Gbéléban, passeport que voici. Il est disponible donc et il peut être consulté à tout moment. Ainsi, mon grand-père maternel est bien Ivoirien. Donc, Nabintou Cissé, sa fille, l’est aussi. Elle est encore vivante et Dieu merci, elle se porte bien. Elle est ici dans cette salle. Figurez-vous, que dans la campagne de dénigrement qui avait été orchestrée contre moi, on avait prétendu qu’elle n’était pas ma vraie mère ! Alors, nous nous sommes volontairement soumis à un test ADN, ma mère, mon frère Ibrahim qu’on appelle « photocopie » tellement il me ressemble, mes deux sours de « même mère et de même père », comme on le dit couramment chez nous, Rockya et Sita. Le test ADN est formel. Il confirme sans ambiguïté aucune que Nabintou Ouattara, née Cissé, est bien ma mère et que je suis bien son fils. Le test ADN est à la disposition du Directoire. De même, Ibrahim, Rockya et Sita sont reconnus comme étant ses enfants, et donc bien mon frère et mes sours. Or, ils sont tous reconnus comme étant ivoiriens.
J’ai d’autres frères et sours. Je ne voudrais pas les nommer tous. L’un de mes aînés s’appelle Yssouf. Il réside à Treichville. Il est même dans cette salle. Il est Ivoirien. Sa mère est Adjoukro. Elle vient de Kosrou.
En conclusion, mon père est Ivoirien de naissance, ma mère est Ivoirienne de naissance, Voici l’original de la CNI de ma mère.
Mes grands-parents sont Ivoiriens de naissance, mes frères et sours sont tous Ivoiriens de naissance. Tous ont leur certificat de nationalité ivoirienne, sauf moi. Que suis je alors ? Qu’ai-je donc fait pour être différent ?
Qu’est-ce qui peut justifier cette conspiration contre ma personne ?
Est-ce parce que j’ai abandonné mes fonctions de Directeur Général Adjoint du Fonds Monétaire International en 1999 pour répondre à l’appel du RDR ? Est-ce parce que j’ai accepté d’en être son Président, puis son candidat ?
Est-il normal qu’on inflige à une mère de plus de 80 ans une telle humiliation en la soumettant à un interrogatoire de plus de quatre heures au motif qu’elle n’est pas ma mère ? Vous chers compatriotes, qui d’entre vous accepterait que sa mère subisse un tel traitement ? Une telle attitude est indécente et contraire à notre culture et à la dignité humaine.
J’aime ma mère comme je respecte la mère de chacun d’entre vous. Ma mère ne peut pas être la cible des folies de certains hommes politiques. Non contents de chercher à me «voler» ma nationalité, mes adversaires veulent m’arracher l’être qui m’est le plus cher au monde. Hadja ! Je te demande pardon pour tout ce que tu as subi à cause de moi. Je te serais reconnaissant toute ma vie pour ton courage, ton soutien moral et tes prières pour que la vérité apparaisse au grand jour. Est-ce normal, parce que j’ai décidé de me mettre au service de mon pays, qu’on traque mes proches, qu’on poursuive et assassine tant de militants et sympathisants du RDR ? Est-ce normal qu’on ait cherché à kidnapper mon épouse le mardi 3 octobre 2000 et à nous tuer le 26 octobre 2000 en attaquant notre résidence ? Est-ce normal qu’on ait jeté en prison en octobre 1999, Madame le Ministre Henriette Dagri Diabaté, femme de convictions, et de nombreux responsables du RDR parce que tout simplement, ils ont manifesté leur indignation face au traitement qui était infligé à notre parti et à ma personne, à la Radio et à la Télévision Nationales ? Chaque année, je venais passer mes vacances scolaires soit à Dimbokro soit auprès de mes oncles maternels à Gagnoa. C’étaient de grands commerçants. Abdoulaye Cissé et Feu Mamadou Cissé dit Mamadou Akakro m’ont permis de parcourir la Côte d’Ivoire à bord de leurs camions (les T45). Lakota, Divo, Gagnoa, Man, Abengourou, San Pédro étaient quelques unes de leurs destinations. Grâce à eux, j’ai eu l’avantage de découvrir très jeune la Côte d’Ivoire profonde. Avant de quitter le registre familial pour aborder mon cursus scolaire et ma carrière professionnelle, je voudrais ajouter que j’ai été marié une 1ère fois avec une américaine – et non une jamaïcaine -. Je me suis remarié en 1991 avec Dominique Nouvian qui est française.
MON CURSUS SCOLAIRE ET MA CARRIERE
J’ai commencé l’école primaire à Dimbokro et ensuite, j’ai suivi mon père à Sindou. Là-bas, à l’école primaire comme au lycée plus tard à Bobo Dioulasso, on m’appelait « le petit Ivoirien ». Après mes études secondaires sanctionnées par le Baccalauréat en 1962 à Ouagadougou, j’ai bénéficié d’une bourse américaine. La question que se posent souvent les personnes sceptiques est la suivante : s’il n’est pas voltaïque, comment a-t-il pu bénéficier d’une bourse au titre de la Haute Volta ? La réponse est simple : les bourses offertes pour effectuer des études à l’extérieur d’un pays étaient attachées à cette époque au territoire et non à la nationalité du bénéficiaire. Ainsi, ils sont légions les ressortissants des pays voisins qui ont fait leurs études avec des bourses étrangères offertes à la Côte d’Ivoire. On ne choisit pas forcément dans une classe ou dans un établissement scolaire les personnes de la nationalité du pays mais les meilleurs élèves même s’ils ne sont pas des nationaux. A leur lieu de destination, ils sont classés automatiquement dans le contingent du pays de départ.
Beaucoup de ces personnes sont aujourd’hui établies dans leurs pays d’origine. Tel est mon cas. A cause de ce qu’on a raconté à ce sujet, l’Ambassadeur Frédéric Guirma qui représentait la Haute-Volta aux Etats-Unis en 1962, a été amené à faire plusieurs mises au point à travers des interviews dans des journaux dont Jeune Afrique et la radio anglaise BBC, précisant que j’ai bénéficié de cette bourse en tant qu’Ivoirien. De plus, il a écrit à mon conseil Maître Emmanuel Assi pour témoigner de ce que je n’avais pas la nationalité voltaïque. Grâce à cette bourse américaine, j’ai étudié à l’Institut de Technologie de Drexel et à l’Université de Pennsylvanie où j’ai obtenu mon Doctorat d’Etat en Sciences Economiques(PHD in Economics). Comme économiste, j’ai commencé ma carrière professionnelle au FMI. Cela a été une expérience enrichissante puisque j’ai eu l’occasion ainsi de visiter de nombreux pays et de m’enrichir de multiples expériences à travers le monde. J’ai été heureux d’avoir été recruté quelques années après à la BCEAO, dont le siège était alors à Paris car cela me donnait l’occasion de travailler enfin pour mon pays. J’ai gravi les échelons à la Banque Centrale où j’ai assumé les fonctions de Directeur des Etudes et de Conseiller Spécial du Gouverneur Abdoulaye Fadiga. De ce passage à la BCEAO, on peut retenir l’assistance que j’ai modestement apportée au Gouverneur Fadiga pour le transfert de la BCEAO de Paris à Dakar et la mise en place de la politique du personnel, du cadre administratif et de la politique monétaire de la Banque Centrale. C’est à Dakar, dans le cadre d’un accord entre les autorités voltaïques d’alors et le Président Félix Houphouët-Boigny, que j’ai été nommé en 1982 vice-gouverneur de la BCEAO, poste normalement dévolu au Burkina Faso. Le Président Houphouët Boigny avait certainement ses raisons. Mais dès que le Président Sankara eut accédé au pouvoir en Haute Volta, il exigea que je sois remplacé par un Burkinabé. Ce qui a été fait.
Dans l’exercice de mes fonctions à la BCEAO, un passeport diplomatique m’a été délivré par la Haute-Volta.
Tout le monde sait que le passeport diplomatique n’est pas un acte d’identité. Il peut être délivré par un Etat souverain à des étrangers dans l’exercice d’une fonction. Ainsi, en Côte d’Ivoire, de très nombreux étrangers, Français, Angolais, Sud Africains, Maliens, . en bénéficient légalement. Par ailleurs, d’autres Ivoiriens, et non des moindres, ont utilisé comme documents de voyage des passeports diplomatiques Burkinabés ou Togolais. Tout le monde le sait, et pour ceux là, personne, apparemment, ne se pose de questions.
1 – e «juge rebelle» (Stéphane Zoro Bi Ballo) valide la nationalité ivoirienne de Ouattara. – par Stephen Smith – publié le 27 octobre 1999 à 1h22 – (mis à jour le 27 octobre 1999 à 1h22)
On me reproche d’avoir utilisé le passeport diplomatique voltaïque pour établir les actes notariés d’achat de biens immobiliers et une fiche d’ouverture de compte bancaire. Demandez à n’importe quel juriste, il vous expliquera que ces actes sont de nature purement commerciale et n’ont donc pas pour effet d’établir une nationalité. C’est cela la vérité. C’est le lieu de préciser que tout en étant détenteur d’un passeport diplomatique de la Haute-Volta, jamais, je n’ai été fonctionnaire dans l’administration publique burkinabé. Jamais, je n’ai travaillé dans le secteur privé au Burkina Faso. On peut le vérifier. Pour compléter cette présentation, j’ai occupé les fonctions de Directeur Afrique du Fonds Monétaire International de 1984 à 1988. Mon retour dans cette institution s’est fait après consultation non pas des autorités burkinabées mais du Président Félix Houphouët-Boigny qui m’a encouragé à accepter cette proposition parce que, pour lui, c’était une fierté qu’un Ivoirien soit promu à ce niveau dans une institution financière aussi prestigieuse. Il a même comparé cette perspective à sa propre expérience politique dans le gouvernement français. Au décès du Gouverneur Abdoulaye Fadiga, à qui je dois beaucoup dans ma carrière, le Président Félix Houphouët-Boigny m’a fait le grand honneur de me rappeler pour assumer, cette fois, les fonctions de Gouverneur de la BCEAO, poste réservé à la Côte d’Ivoire. Or, j’ai entendu le Président Laurent Gbagbo affirmer qu’il était choqué par le fait que j’ai été vice-gouverneur au titre de la Haute-Volta. Il a même dit qu’on ne peut pas être Gouverneur de la Banque d’Allemagne et candidat à l’élection présidentielle en France. C’est un amalgame regrettable. Loin de moi toute idée de polémique. Mais, il sait mieux que quiconque, que la BCEAO est une Institution sous régionale qui appartient à huit états d’Afrique de l’Ouest à savoir le Bénin, le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Je n’ai pas été Gouverneur de la Banque Centrale du Burkina Faso qui n’existe d’ailleurs pas. Aussi, le débat devrait être clos dans la mesure où même le Burkina Faso ne me reconnaît pas comme un de ses ressortissants. Qui mieux que le Burkina Faso a autorité à dire qui est ou non son ressortissant ? Le Président Blaise Compaoré l’a précisé dans une correspondance que j’ai versée dans mon dossier de candidature aux présidentielles d’octobre 2000. Voici la lettre. De plus, avant de me nommer en 1994 au poste de Directeur Général Adjoint du Fonds Monétaire International, le Directeur Général d’alors, Monsieur Michel CAMDESSUS, a pris soin de consulter, cette fois encore, le Chef de l’Etat ivoirien et non pas le Chef de l’Etat burkinabé. Quand la décision a été rendue publique, le Président Henri Konan Bédié m’a adressé un télégramme de félicitations. Et pourtant, je suis rejeté hors des frontières de mon pays et refusé par les autres. Je suis apatride. Pouvez-vous imaginer ce que l’on ressent dans ce cas ? En 1990, face à la crise économique sans précédent que notre pays a connue, le Père de la Nation m’a appelé pour venir l’aider à gérer la situation. Ainsi, j’ai présidé le Comité Interministériel de redressement et de relance économique. Puis, le Président Félix Houphouët-Boigny m’a confié les charges de Premier Ministre et de Chef de Gouvernement, fonctions que j’ai assumées jusqu’en décembre 1993, à sa mort.
LES FAUX SUR LES PIECES D’IDENTITE, PARLONS-EN…
J’ai été accusé de faux sur mes cartes nationales d’identité de 1982 et de 1990.
Les autorités politiques d’alors qui ont porté ces graves accusations ont ouvert une information judiciaire. Dans ce cadre, elles ont soumis ma mère, cette femme de 80 ans à un interrogatoire de plus de quatre heures. Par la suite, un mandat d’arrêt a été lancé contre moi. J’en ai beaucoup souffert, je l’avoue ; parce que j’ai bâti toute ma réputation sur mon intégrité et mon honnêteté. J’avais la responsabilité de notre monnaie et j’ai occupé de hautes fonctions comme celle de Directeur Général Adjoint du Fonds Monétaire International. A l’occasion de mon départ du FMI en juillet 1999, le Conseil d’Administration m’a même décerné, fait rare, une motion spéciale de félicitations pour ma très grande intégrité et pour le travail accompli dans cette prestigieuse institution. Et c’est moi que le pouvoir accuse de faux dans mon pays !
En 1982, alors qu’on avait aucun intérêt à douter de ma nationalité, ma carte nationale d’identité m’a été établie normalement au commissariat de Marcory au vu des documents exigés et présentés. Comme je l’avais égarée, à l’occasion des élections générales de 1990, j’en ai fait établir tout naturellement une autre.
Où est donc le problème ?
S’agissant de mon acte de mariage datant de 1966 à Philadelphie aux Etats-Unis, tout le monde sait qu’il a été falsifié l’année dernière pour le compte du gouvernement d’alors. A cet égard, il est bon de rappeler que le Département d’Etat américain s’est indigné de cette falsification d’un document établi par la justice américaine. Et une plainte a été déposée l’année dernière pour faux et usage de faux devant le Doyen des Juges d’instruction du Tribunal de Première Instance d’Abidjan contre les auteurs et leurs commanditaires. Certains compatriotes rêvent aujourd’hui encore de découvrir des faux papiers ou cherchent, au besoin, à en fabriquer. Faut-il le rappeler, le jeune Vléi Dimitri, fut envoyé au Burkina Faso en 1999, avec la mission de faire établir à mon nom un faux certificat de nationalité burkinabé ; cela, par une tentative de corruption des juges, ce qui lui valut une condamnation à une peine d’emprisonnement. Enfin, pour ce qui est de la décoration que j’ai reçue alors que j’étais à la BCEAO, c’est bien en tant qu’Ivoirien et non à titre de Voltaïque que j’ai été décoré comme l’indique et l’atteste le registre de décoration qui peut être consulté à tout moment et par tous. Il s’agit du Livre d’Or des ordres nationaux de la République de Côte d’Ivoire – 1978 à 1986. A la page 181, le 15ème nom est celui de Alassane Dramane Ouattara. Chers Amis, soyons sérieux et réfléchissons un moment.
Depuis plus de 8 ans, on a cherché par tous les moyens à constituer des dossiers dits « en béton » pour m’accabler et faire éclater une soit disant vérité. On a dépensé une fortune, de l’argent public et on a rien trouvé parce qu’il n’y a rien à trouver. Je ne me suis jamais prévalu d’une autre nationalité que la mienne. Je suis Ivoirien à titre exclusif. C’est donc à juste titre que je considère être en droit de réclamer la reconnaissance de ma citoyenneté pleine et entière puisqu’il est juridiquement établi que je suis Ivoirien et que je suis éligible.
LA CONSTITUTION
Je remercie le Président Laurent Gbagbo d’avoir éclairé l’opinion nationale et internationale en avouant, publiquement, que l’article 35 de la Constitution, a été conçu dans le seul but de m’éliminer de la course à l’élection présidentielle. Ainsi donc, notre Constitution, la Loi fondamentale, n’est pas impersonnelle.
Pourtant, on nous répète à l’envi qu’une Constitution ne peut être révisée pour un homme. Il nous est loisible de rétorquer ceci : autant une constitution ne peut être faite pour un individu, autant elle ne peut être faite contre un individu en qui des millions d’Ivoiriens se reconnaissent. Quelle crédibilité peut-on accorder alors à une Loi fondamentale dirigée contre un citoyen et donc contre tous ceux qui le soutiennent ? Aujourd’hui, la preuve est faite que notre pays s’est doté d’une Loi fondamentale facteur de division. Notre pays peut-il inspirer le respect auquel il a droit en se dotant d’une constitution qui porte la marque d’une telle exclusion ?
Que disent nos juristes, nos hommes de loi, nos constitutionnalistes, quand on sait que notre loi fondamentale viole les droits élémentaires de l’homme et renferme une discrimination aussi intolérable que sous le régime de l’Apartheid en Afrique du Sud où les noirs étaient considérés comme des citoyens de seconde catégorie. Qui pourrait alors, après l’aveu du Chef de l’Etat, ne pas soutenir nos revendications visant à réviser la Constitution ?
C’est le lieu de prendre à témoin la communauté internationale de la manipulation à laquelle l’adoption de la Constitution ivoirienne a fait l’objet de la part d’une certaine classe politique qui rechigne à la compétition. La Chambre Constitutionnelle de la Cour Suprême a donc utilisé des arguments fallacieux pour me barrer la route de la course à l’élection présidentielle d’abord, aux élections législatives ensuite. Parmi les principales raisons avancées par cette institution : l’acte d’individualité de ma mère ne serait pas signé. Voici l’acte d’individualité qui figure dans mon dossier de candidature. Il est bel et bien signé. C’est le juge Kouakou Brou Bertin qui a signé cet acte. On peut l’interroger. Il est vivant. C’est donc à juste titre que nous réclamons aussi la reprise des élections générales.
MA NATIONALITE ET MON ELIGIBILITE : UN PROBLEME POLITIQUE
Les faits sont là : mon problème ne relève pas de la justice. Il s’agit bel et bien d’un problème politique. Et, au delà de ma modeste personne, ce sont des millions d’Ivoiriens qui sont exclus d’une citoyenneté authentique. Je ne suis qu’un symbole.
Avant moi, il y a eu mon frère Djéni Kobina, un homme de convictions et de courage à qui nous devons beaucoup. Du jour au lendemain, il apprend qu’il n’est plus Ivoirien, mais Ghanéen. Subitement. Son crime : avoir créé le RDR et s’être porté candidat aux élections législatives de 1995 à Adjamé.
Djéni en a souffert jusqu’à sa mort. Avec lui, toute sa famille notamment Jacqueline son épouse, Patricia, Joëlle, Franck et Isabelle ses enfants. Elle continue d’être meurtrie. Nous aussi. Parce que Djéni nous est cher. Je me souviens du jour où la candidature de Djéni Kobina avait été rejetée. De la conversation téléphonique que j’ai eue avec Joëlle, une des filles : « Tonton, m’a-t-elle dit, toute malheureuse, si Papa n’est pas Ivoirien, que sommes-nous alors ? ». J’en ai été très ému. Lors de ses obsèques à Treichville, j’ai dit : « Plus jamais ça ! ».
Apparemment, ce cri de cour n’a pas été entendu. L’exclusion continue dans notre pays. Tout en rendant hommage à Djéni Kobina pour son engagement et pour ce qu’il a fait pour notre pays, je demande sa réhabilitation comme l’a déjà fait ici devant vous la Secrétaire Générale du RDR. Je revendique ma solidarité avec tous les exclus de la société ivoirienne, tous ceux qui sont rejetés à cause de leur patronyme, de leur faciès ou de la couleur de leur peau. Le combat que je mène est un combat pour la dignité des Ivoiriens, de tous les Ivoiriens qu’ils soient du Nord, du Centre, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest, qu’ils soient des métis ou qu’ils aient acquis la nationalité ivoirienne par naturalisation. Les obstacles ne manquent pas. Mais fort du soutien de tous, nous parviendrons à éradiquer les injustices dont souffre une frange importante de la population ivoirienne. Car, seuls les combats qu’on ne mène pas sont perdus d’avance. De la même façon, notre lutte contre l’arbitraire et l’exclusion doit être poursuivie aussi pour honorer la mémoire de tous les Ivoiriens qui ont payé de leur vie leur refus d’une citoyenneté à deux vitesses. Par respect pour la mémoire des trop nombreuses victimes innocentes, à commencer par Djéni Kobina, rien, je dis bien rien, ne justifie les nombreuses tueries, les viols et les massacres dont la Côte d’Ivoire a été le théâtre. Nous ne devons pas baisser les bras.
Si notre marche vers plus de bien-être et de progrès social a été interrompue, c’est parce que lorsqu’il faut présenter un projet politique, on vous parle de filiation. On vous demande qui est votre père, qui est votre mère. Est-ce cela un programme politique susceptible d’apporter des réponses aux préoccupations des Ivoiriens ? Assurément, non ! Le charnier de Yopougon est une honte pour le pays d’Houphouët-Boigny. Je me demande encore comment une telle manifestation de haine a pu se produire dans notre pays. Les auteurs d’une telle abomination doivent être absolument recherchés, poursuivis et condamnés à la mesure de leur crime.
C’est à cette seule condition que le peuple Ivoirien accordera son pardon aux criminels et à leurs commanditaires. Une vraie réconciliation est à ce prix. C’est le lieu de rendre hommage à tous nos militants, Ivoiriennes et Ivoiriens qui me soutiennent malgré les exactions, les intimidations qu’ils subissent. Je pense plus particulièrement à tous ceux qui ont perdu la vie parce qu’ils croyaient en moi, parce qu’ils voyaient en moi un avocat de leur cause. Je m’incline devant la mémoire de ces martyrs et de ces combattants de la Liberté.
Je partage la douleur de leur famille et je leur demande pardon à tous, sans distinction d’origine, de race ou de religion.
Chers compatriotes,
Si mon nom est agité comme un épouvantail, si je suis attaqué plus que de raison, c’est parce que mes adversaires politiques ne veulent pas que je me mette à la disposition de notre pays, de vous mes frères et sours qui souffrez, qui ne savez pas de quoi demain sera fait, l’expérience que j’ai acquise dans l’exercice de mes anciennes fonctions. Je constate avec amusement qu’à chaque fois, à leur avènement au pouvoir, les dirigeants successifs découvrent subitement que je ne suis plus Ivoirien. Ainsi, j’ai été Ivoirien et éligible jusqu’en 1993, et par la suite le Président Bédié, qui me connaît bien pourtant, a engagé des poursuites contre moi.
A l’époque, le Président Gbagbo, dont le parti était dans le Front Républicain avec le RDR, disait ne pas comprendre que le pouvoir en place conteste ma nationalité, mieux il affirmait qu’il fallait absolument que je sois candidat. Ensuite, au début de la Transition, le certificat de nationalité établi par le juge Zoro a été reconnu par la justice. Quelques mois après, en octobre-novembre 2000, la Chambre Constitutionnelle n’a pas reconnu les certificats de nationalité dûment signés par des juges assermentés. Il y a quelques jours encore, un nouveau rebondissement : j’apprends avec surprise que le certificat de nationalité du mois de juillet 2000 qui avait été rejeté en octobre 2000 est à nouveau valable. Alors, question : s’il est valable, on peut donc en établir un autre à tout moment ?
Je suis donc surpris que le juge ait refusé de m’en délivrer un nouveau. La raison avancée, c’est que l’environnement socio-politique ne le permet pas ! Est-ce du droit ? Est-ce de la politique ? A vous d’en juger !
BILAN : PRESIDENT DU COMITE INTERMINISTERIEL ET PREMIER MINISTRE
Comme je l’ai souligné à maintes reprises, je souhaite me soumettre à l’épreuve de vérité que constitue le Forum pour la Réconciliation Nationale. C’est pourquoi il m’apparaît important de revenir sur mon bilan en tant que Premier Ministre et Chef de Gouvernement du Président Félix Houphouët Boigny. Mais avant cela, je voudrais vous expliquer les circonstances dans lesquelles j’ai été nommé Président du Comité Interministériel de redressement et de relance économique. Contrairement à ce qui a été soutenu, aucune contrainte ne s’est exercée sur le Président Félix Houphouët Boigny pour qu’il m’appelle à ses côtés. C’est faire injure à la mémoire de cet homme d’Etat exceptionnel que d’affirmer que ce sont les bailleurs de fonds qui lui ont forcé la main. Pour étayer mes propos, je vous invite à lire l’ouvrage que Monsieur Jean-Christophe Mitterrand vient de publier. Dans cet ouvrage intitulé « Mémoire Meurtrie » (pages 96 & 97), Jean-Christophe Mitterrand fait un témoignage édifiant. Je le cite :
« C’était en 1990. La Côte d’Ivoire était au plus mal économiquement. Houphouët-Boigny voulait un Premier Ministre qui mette de l’ordre dans les finances et mène une politique économique rigoureuse. C’est à dire impopulaire. Il avait pensé au Gouverneur de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), Alassane Ouattara. Après moult hésitations, Ouattara avait décliné son offre. Il se sentait davantage l’âme d’un banquier que celle d’un politicien. Déconvenue d’Houphouët. De passage au Sénégal, je reçus un coup de téléphone d’Houphouët d’Abidjan : «Ce soir, tu as un dîner à l’Ambassade de France à Dakar auquel doit assister Ouattara.» Il connaissait mon emploi du temps mieux que moi ! Son idée était que je fasse «aimablement pression » sur le Gouverneur de la BCEAO. Nous étions une douzaine d’invités autour de la table de l’Ambassadeur. Je n’avais jamais rencontré Alassane Ouattara. Je découvrais un homme grand, mince, chaleureux, élégant, peu disert mais intervenant toujours à propos. A la fin du dîner, je m’isolais un moment avec lui, davantage pour le sonder vis-à-vis de la proposition d’Houphouët que pour faire « pression sur lui » . Je lui rapportais le coup de téléphone du « vieux », comme tout le monde appelait Houphouët en Côte d’Ivoire. Il me fit part de ses craintes. Il lui fallait avoir les mains libres pour assainir une économie au bord de la faillite et appliquer des décisions impopulaires. Réduire une fonction publique pléthorique, faire rentrer l’impôt, empêcher trop de coulage notamment sur les taxes d’importation, et contrôler le commerce parallèle non déclaré. Le chantier s’annonçait immense. Finalement, il accepta le pos te de Premier Ministre après une conversation avec le Chef de l’Etat et lui assura qu’il aurait les mains libres, hormis les décisions concernant les nominations des ministres des Affaires Etrangères et de la Défense. Alassane Ouattara put nommer un Gouvernement essentiellement composé de « techniciens », et ses accords avec Houphouët furent parfaitement respectés. (Fin de citation). C’est cela la vérité ! C’est donc en toute connaissance de cause que le Président Houphouët-Boigny m’a demandé d’assumer successivement les responsabilités de Gouverneur de la BCEAO, de Président du Comité Interministériel de redressement et de relance économique et de Premier Ministre. Il savait parfaitement qui j’étais. Si certains compatriotes ne me connaissaient pas, le Président Félix Houphouët-Boigny, lui, avait suivi ma carrière. Il est donc ridicule d’induire le peuple en erreur en insinuant qu’il s’est fourvoyé en m’appelant à ses côtés.
Sans céder à la polémique, je voudrais rétablir ici quelques vérités concernant le bilan de mon action en tant que Premier Ministre. Souvenez-vous, l’année 1990 a été une des années les plus difficiles et pour le Président Houphouët-Boigny et pour la Côte d’Ivoire. En effet, le pays était au bord du gouffre. L’Etat était quasiment en faillite. Il avait d’énormes problèmes pour assurer les salaires des fonctionnaires. Pour sortir de cette situation, on a rien trouvé d’autre à proposer au Président Houphouët-Boigny que la réduction des salaires des fonctionnaires de 10%. A l’annonce de cette mesure, les Ivoiriens descendent dans la rue. Pour la première fois, le Président Houphouët faisait face à un mécontentement généralisé. Plus grave, il avait été abandonné par les siens qui étaient convaincus que c’en était fini pour le « vieux » .
Un jour, il m’a fait venir de Dakar. Je l’ai trouvé seul, tout seul et triste.
Je garde encore cette image. Il m’a proposé de rentrer au pays pour l’aider. J’ai accepté quelque temps après, parce qu’un fils ne peut pas voir son père dans cet état et rester inactif. Ainsi, j’ai cumulé les fonctions de Gouverneur avec celles de Président du Comité Interministériel. Pour éviter une aggravation de la situation sociale, j’ai donc pris la décision de ne pas appliquer cette mesure dont les fonctionnaires ne voulaient pas. Cette décision a été fort appréciée par tous les Ivoiriens.
Le calme est revenu progressivement.
Mais il fallait faire plus au plan politique. J’ai donc proposé au Président Houphouët d’appliquer l’article 7 de la Constitution puisque le consensus n’existait plus. C’est ainsi que les partis politiques ont été autorisés. Une telle revendication me paraissait légitime et, dans le souci de favoriser un climat de paix et de promouvoir la démocratie, j’avais encouragé le Président Houphouët à s’engager dans cette voie. En vue de poursuivre l’action que nous avons entamée, le Président Houphouët-Boigny m’a nommé Premier Ministre et Ministre de l’Economie et des Finances. J’étais bel et bien ivoirien à cette période.
Le Président Houphouët l’avait confirmé et nul ne l’avait contredit. Dans la hiérarchie du PDCI-RDA, j’étais le n°2. A ce titre, quand le Président Houphouët était absent, j’avais la responsabilité de gérer le Parti, assisté de mon frère Laurent Dona Fologo. Le chantier économique et social était vaste. Nous avons pu, malgré les difficultés, réduire la gabegie, assainir l’économie, restructurer la dette, faire rentrer l’impôt et préparer la dévaluation afin de renouer avec la communauté internationale. Malgré la conjoncture, nous avons crée les universités d’Abobo et de Bouaké et nous avons réhabilité les cités universitaires et de nombreux établissements scolaires. Mieux, les Ivoiriens se sont mis au travail.
Il est vrai que j’ai été amené, à mon corps défendant, à prendre aussi des mesures impopulaires sur lesquelles je voudrais m’expliquer. Parmi celles ci : le raccrochage des nouveaux enseignants et la lutte contre la fraude. D’abord le raccrochage des enseignants. Ce n’est pas de gaîté de cour que nous l’avons fait. Nous comprenons que les enseignants n’aient pas accepté qu’une telle mesure leur ait été appliquée. Mais nous étions face à un choix extrêmement difficile : maintenir les choses en l’état ou raccrocher les nouveaux enseignants afin de pouvoir embaucher d’avantage de jeunes sortis de l’université. Dans mon esprit, il ne s’agissait que d’une mesure provisoire. Car j’envisageais d’y renoncer après la dévaluation, et de revenir au décrochage. Après cette dévaluation, que mon équipe a soigneusement préparée, le pays a engrangé des milliards.
Le problème des enseignants aurait dû être réglé dès1995. Je me réjouis que le gouvernement actuel ait mis fin à cette inégalité de traitement.
J’exprime donc mes sincères regrets à mes frères et sours enseignants qui ont subi, pendant neuf ans, les effets de ce raccrochage. Concernant la lutte contre la fraude, jamais il n’y a eu contre la communauté libanaise un acharnement quelconque. Il est vrai que parfois des excès ont été commis contre mes frères libanais qui, du reste, apportent beaucoup à notre économie.
C’était une incompréhension. Je sais qu’aujourd’hui, ils sont nombreux à préférer notre méthode faite de transparence et de rigueur au harcèlement qu’ils vivent actuellement. La succession du Président Félix Houphouët-Boigny
On a fait croire mordicus au Président Henri Konan Bédié que je ne voulais pas lui céder le pouvoir conformément à la Constitution. Or jamais, je n’ai eu l’intention d’utiliser des moyens détournés pour confisquer le pouvoir. Pour moi, la Constitution devait s’appliquer intégralement. Profondément légaliste, je ne pouvais pas m’opposer à l’accession du Président Henri Konan Bédié au pouvoir.
Ce qui s’est passé est à mettre sur le compte des incompréhensions entre mon aîné et moi. A ce sujet, il n’y a pas la moindre équivoque. Quand j’ai appris qu’il était impossible de sauver le Président Félix Houphouët-Boigny, mon souci avait été d’être fidèle à ses recommandations. Et j’ai la conviction d’avoir été digne de la confiance qu’il a placée en ma personne. Je n’aime pas m’étendre sur les circonstances de la mort du Président Félix Houphouët-Boigny. Elles ont été extrêmement douloureuses pour moi.
LE COUP D’ETAT DE 1999
A maintes reprises, des adversaires politiques m’ont fait passer pour un putschiste.
Je n’ai rien à voir avec le coup d’état de décembre 1999 ; j’ai estimé en revanche que dans l’intérêt de la Côte d’Ivoire, tout comme la plupart des autres leaders politiques, qu’il fallait soutenir le Comité National de Salut Public. Je constate que ceux qui nous accusent d’être putschistes sont ceux-là mêmes qui sont restés au gouvernement du Président Guéi alors que les ministres, appartenant au RDR, avaient été remerciés. La Transition était bien engagée quand tout a été mis en ouvre pour m’opposer au Général Guéi qui a été un chef d’Etat major remarquable quand j’étais Premier Ministre. Ensemble, nous avons servi avec loyauté le Président Félix Houphouët-Boigny ; nous avons maintenu le pays en paix pendant les absences du Père de la Nation. Au delà de la politique, il est donc mon frère et il le demeurera.
LES PROPOS SUR LA RELIGION
La liste de mensonges qui ont été servis au peuple ivoirien soit pour diaboliser le RDR soit pour me présenter comme un épouvantail est longue. Il faut citer parmi eux mes rapports à la Religion. Comme d’habitude, pour mieux m’accabler, mes propos ont été délibérément travestis.
En effet, en réponse à une question qui m’avait été posée lors d’une réunion politique à Paris le 9 octobre 1999, j’ai répondu exactement ceci : « On brandit ma candidature comme un péril musulman. C’est honteux. Un musulman est-il inapte à diriger un Etat ? Abdou Diouf au Sénégal n’est-il pas musulman ? Le Maroc a eu le Roi Hassan II et maintenant le jeune Roi Mohamed VI. Il faut laisser les Ivoiriens choisir qui ils veulent. » Voilà tout ce que j’ai dit.
Si je suis profondément croyant, je reste attaché à la laïcité de l’Etat. Aucune religion ne doit servir de tremplin pour l’exercice du pouvoir d’Etat, et personnellement je respecte toutes les croyances. Il faut donc éviter d’opposer les religions, c’est dangereux. Car, l’histoire l’a prouvé.
LES CAUSES DE LA CRISE
Les témoignages qui ont été faits devant le Directoire du Forum m’ont conforté dans l’idée que vous êtes conscients que notre pays traverse une grave crise, une crise politique, une crise économique, une crise sociale mais aussi une crise de légitimité. Aussi, la réconciliation devient-elle une priorité pour éviter que la Côte d’Ivoire, qui a connu une longue période de paix et de stabilité grâce à la clairvoyance du Président Félix Houphouët-Boigny, ne sombre dans le chaos. Pour atteindre cet objectif, nous ne devons rien cacher des difficultés auxquelles le pays est confronté. Bien au contraire. Tout au contraire, la gravité de la situation nous oblige à faire preuve de lucidité et d’un sens élevé des responsabilités en identifiant les causes d’une telle rupture et d’une telle crise de confiance. A cet égard, un constat s’impose : nous, hommes politiques, nous avons pêché par égoïsme et par inconscience.
Alors que notre devoir consiste à anticiper, à montrer au peuple la voie à suivre et à tracer des perspectives, nous nous sommes employés à exacerber les tensions et à creuser davantage le fossé qui sépare les citoyens dans notre pays. En désignant une frange des Ivoiriens comme des boucs émissaires ou des pestiférés, nous avons joué les apprentis sorciers.
Les résultats du travail de sape qui a été entrepris sont catastrophiques : – la société ivoirienne connaît une fracture réelle, – la cohésion nationale est mise à mal.
Les douloureux évènements dont nous n’avons pas fini de payer les conséquences résultent de l’intolérance qui a été entretenue dans notre pays. Pour n’avoir pas été à la hauteur de ce que le peuple ivoirien attendait de nous, nous sommes comptables de la déchirure sociale et du marasme dans lequel est plongée la Côte d’Ivoire depuis quelques années. En ce qui me concerne, je reconnais ma part de responsabilité dans ce qui est arrivé et je demande pardon au peuple ivoirien qui continue de souffrir de tant de calculs politiciens. Pardon aux familles des victimes de cette politique aveugle qui a fauché tant de nos concitoyens dans la fleur de l’âge. C’est en faisant notre examen de conscience sans complaisance aucune, que nous trouverons les moyens de conjurer le mauvais sort.
LA SITUATION ECONOMIQUE ET SOCIALE
La situation économique est grave. OUI, je l’ai dit. Selon certains, elle est même catastrophique. Elle devrait nous interpeller tous. Pourquoi ? Les Ivoiriens sont fatigués et inquiets. Les paysans voient leurs revenus baisser à cause de la chute des prix des produits de base, notamment le café et le cacao. Le vieillissement du verger café/cacao leur pose des problèmes ; les rendements ayant diminué, les produits sont de qualité médiocre. A cet égard, il devient urgent de restaurer le secteur agricole et offrir aux planteurs plus de revenus en les intégrant mieux à l’économie mondiale. La vie est chère. Chaque Ivoirien le vit quotidiennement. Le prix des denrées alimentaires a augmenté : le kilogramme de riz est passé de 160 francs l’année dernière à 275 francs et le kilogramme de viande de 1100 francs à 1300 francs. Une de mes tantes qui est à Treichville me disait, il y a quelques jours au téléphone, qu’il faut au moins aujourd’hui 5000 francs par jour pour nourrir une famille de dix personnes contre 3000 francs il y a encore quelques mois. Conséquence de ce renchérissement du coût de la vie : de nombreux Ivoiriens ne mangent pas à leur faim ou sont obligés de manger une seule fois par jour. Même la banane, la bonne banane « Agninrin » est devenue si chère que déguster un plat d’aloko devient un luxe pour les familles modestes!
L’électricité, l’eau et le téléphone ont connu une augmentation de 20% cette année. Le prix du carburant a augmenté deux fois dans l’année. A titre d’exemple, le gasoil est passé de 270 francs à 335 francs puis à 410 francs le litre.
Comme on le constate, la Côte d’Ivoire connaît depuis deux ans une forte récession caractérisée par une baisse de la richesse nationale. Tous les indicateurs sont au rouge. Parce que les économistes vous le diront : il s’agit essentiellement d’un problème de confiance. La communauté internationale n’a pas encore repris totalement sa coopération avec notre pays et les investisseurs manifestent une grande méfiance à notre endroit. Malgré les assurances qui nous sont données par le gouvernement, le pays ne va pas mieux. Nombreux sont nos compatriotes qui vivent dans l’angoisse de perdre leur travail. Les recettes budgétaires, nous le savons, sont surévaluées et il est certain que le pays ne sera pas en mesure d’honorer l’ensemble de ses engagements si l’économie n’est pas remise sur pied. Arrêtons donc de rêver en pensant que tout ira bien dans quelques mois sans effort et sans programme économique crédible.
Il n’y a cependant pas de fatalité dans ce domaine. Nous pouvons relever le défi de la pauvreté et du sous-développement auquel nous sommes confrontés actuellement si nous savons nous y prendre. Les solutions existent et nous pouvons ensemble les trouver. Chers compatriotes, souvenez-vous des premiers mois de 1990 quand notre pays était dans une situation similaire. La détermination d’une équipe soudée autour du Père de la Nation, soutenue par la très grande majorité de nos compatriotes, a permis de sortir de la crise qui nous frappait. Il est donc possible de répéter cette expérience, à condition que nous soyons unis et déterminés, que chacun de nous apporte sa pierre à la reconstruction de notre maison Côte d’Ivoire. C’est un travail essentiel qui requiert la contribution de chacun de nous et je puis vous assurer que je suis prêt à le faire dans l’intérêt national.
LES PROPOSITIONS DE SORTIE DE CRISE
Mais la crise économique et sociale n’est que la conséquence d’une crise de légitimité. Pour sortir de cette situation, nous devons sérieusement nous atteler à l’élaboration d’une nouvelle Constitution qui réaffirmera clairement l’égalité de droits et de devoirs de tous les citoyens. La crédibilité des institutions étant mise en doute, et parce qu’elles ne sont pas représentatives du peuple Ivoirien dans sa globalité, de nouvelles élections générales doivent être organisées. De plus, il importe de mettre fin à l’impunité. A cet égard, la lumière doit être faite sur le charnier de Yopougon.
L’exigence du maintien de l’ordre ne doit pas justifier des exactions sur les citoyens telles qu’on les a connues ces derniers temps. Il est important que cette mission se fasse dans le strict respect de la loi et des droits humains. C’est le lieu d’indiquer que nos forces de l’ordre doivent demeurer républicaines et consciencieuses de leur devoir.
En tout état de cause, le respect des Droits de l’Homme doit devenir une préoccupation dans notre pays. Il faut donc veiller à ce que l’Etat de droit soit renforcé. D’une manière générale, une réflexion sur notre institution judiciaire doit être menée avec courage et objectivité. Le rôle de la justice est fondamental dans la cohésion d’une société. C’est pourquoi, elle doit être forte et indépendante pour répondre à l’attente des citoyens et en retour mériter respect et fierté. C’est à ce prix que la paix et la stabilité reviendront.
Pour ce faire, prenons tous ensemble l’engagement de tourner le dos aux comportements générateurs de conflits et d’injustice. Il est temps que nous nous consacrions à l’essentiel en dépassant nos querelles politiciennes. Notre pays peut s’en sortir à condition que disparaissent les injustices qui mettent à mal la cohésion nationale.
Pour que notre pays redevienne ce qu’il a toujours été, un pays de paix et de stabilité, tous les sacrifices doivent être possibles. C’est pourquoi, je voudrais vous dire sincèrement que je n’ai pas de ressentiment.
A mes frères, Bédié, Guéi, Gbagbo, je lance un appel pour que nous nous ressaisissions, pour que nous nous asseyions pour discuter, selon une formule bien connue. En ce qui concerne le Président Guéi, il n’y a pas lieu de se demander s’il doit bénéficier ou non du statut d’ancien Chef d’Etat. Il est évident qu’il y a droit tout naturellement, pour avoir assumé les charges de l’Etat au plus haut niveau. Pour ma part, j’ai pardonné à mes frères Bédié, Guéi et Gbagbo. Et je les invite à en faire autant. Si nécessaire, avec la caution de tous ceux qui se réclament du Président Houphouët-Boigny. Car je souffre de voir mon pays marcher à reculons et s’enfoncer dans la misère.
CONCLUSION GENERALE: MA VISION
En conclusion, j’aime mon pays. Je l’aime profondément. J’ai une ambition pour mon pays : – faire de la Côte d’Ivoire une véritable société démocratique, respectueuse des droits humains et de la liberté des individus, – une société démocratique apte à inventer et à initier les changements ce qui implique la reconnaissance et le respect de l’autre, la participation de tous à la vie nationale, – une société de bien-être et de progrès.
Car, l’action politique n’a de sens que si elle a pour finalité le bonheur du peuple. Mon projet, c’est d’associer toutes les Ivoiriennes et tous les Ivoiriens au renouveau de la Côte d’Ivoire, à la définition des principes qui la guideront dans l’avenir et à ses grands choix. Car on ne peut faire taire une grande partie de la Nation. On ne peut davantage l’exclure des processus de décision.
La démocratie exige cette intervention permanente et cette participation du peuple entier. Elle exige ce recours au dialogue et au consensus. Nous ferons redémarrer l’économie avec la restauration de l’Etat de droit. Et nous disposons d’atouts formidables : – des ressources humaines avec une population jeune,
– des femmes dynamiques dont le rôle doit être de plus en plus reconnu, – des cadres de grande valeur, – des ressources naturelles avec notre potentiel agricole. Notre pays ne peut pas se permettre d’être à contre-courant de l’évolution du monde. Il doit renoncer à tout repli frileux, à toute idéologie fondée sur l’incitation à la haine et le refus de l’autre. Nous devons réapprendre à vivre ensemble. La réconciliation, la vraie réconciliation : – c’est la confiance retrouvée en nos capacités à gérer, à nous développer et à entreprendre ensemble.
– c’est la confiance retrouvée des opérateurs économiques et des investisseurs. – c’est la confiance retrouvée de la communauté financière internationale dont nous avons tant besoin du soutien.
Le retour des investisseurs et des bailleurs de fonds, c’est le retour de la croissance, de la création d’emplois et de l’amélioration du bien-être social. Soyons convaincus, ensemble, que la fin des exclusions conditionne la vraie réconciliation, qui elle-même conditionne le retour de la confiance. Tout en ne perdant pas sa personnalité et son génie, la Côte d’Ivoire doit continuer de s’ouvrir au reste du monde.
C’est à cette condition qu’elle retrouvera sa place en Afrique et dans le concert des Nations.
Je suis prêt à apporter ma contribution pour que mon pays, la Côte d’Ivoire, redevienne un pays de paix et de stabilité. Je vous remercie.
2 – Forum de la Réconciliation Côte d »Ivoire : Gueï règle ses comptes (RFI)
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Forum de réconciliation 2001 : Transcription d'une partie du discours de l'ex-président en 2001.
Dixit l’ex-président en 2001 :
Je ne souhaite pas que : parce que les Ivoiriens,, ont des problèmes momentanés demandent que je viole toutes les règles de bonnes gouvernance pour leur faire plaisir.
« Je ne le ferai pas »
Nous avons trop souffert par manque de démocratie et tout le monde nous réclamait la démocratie je veux bâtir non pas des compromissions mais en respectant strictement les règles.
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Chers amis du RDR, je vous attends mais ne me demandez pas l’impossible.
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JE NE SUIS PAS JUGE,
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Je ne le ferai ni pour vous, ni pour aucun autre Ivoirien.
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Que les juges fassent leur travail, que le président de la République fasse son travail et que les députés fasse leur travail.
1 – Contribution au Forum des différentes régions de Côte d’Ivoire : Côte d’Ivoire : forum de réconciliation nationale de 2001 Moussa Diabaté Régions du Bafing (1/2)
2 – Après le discours au Forum de Mr. Emile Téhé : Méritait-il d’être assassiné par les escadrons de la mort, tant pour ses propos que pour ses idées ?
Alors suite au discours ci-dessus de l’ex-président au forum de réconciliation en 2001, « A BON ENTENDEUR SALUT EN 2023 ».
Discours de l’ex-président Gbagbo au Forum de réconciliation en 2001. Ecoutez ce qu’il disait.