Mis sur la touche par Laurent Gbagbo pour, entre autres, avoir dénoncé les excès des durs du régime, écarté lors de la campagne pour la présidentielle, exilé au Ghana durant la crise postélectorale, Mamadou Koulibaly signe son grand retour sur la scène politique. Interlocuteur du nouveau pouvoir, le président de l’Assemblée nationale veut sauver un Front populaire ivoirien (FPI, ancien parti au pouvoir) assommé par la double défaite électorale et militaire.
« L’objectif est de proposer un nouveau projet de société pour gagner la présidentielle de 2015 », explique-t-il.
En attendant, il dresse un bilan sévère de la décennie écoulée. Fidèle à ses principes, intransigeant sur la morale et les règles de droit, il se pose en défenseur de la souveraineté de la Côte d’Ivoire. Avec, en filigrane, une phrase qu’il ne prononce jamais mais que l’on entrevoit à chacune de ses réponses : « Si Gbagbo m’avait écouté… »
Jeune Afrique : On vous a peu entendu pendant la crise postélectorale. Pourquoi ?
Mamadou Koulibaly : Je n’avais pas le choix. Ma présence n’était pas désirée ; l’Assemblée nationale ne fonctionnait plus. Mais aujourd’hui, j’ai la lourde responsabilité d’assurer la présidence par intérim du FPI. Cela m’oblige à rassurer les militants, à aider à la libération des cadres du parti qui ont été arrêtés et à faciliter le retour des exilés.
Êtes-vous en contact avec les cadres du parti en exil ?
Oui, notamment avec Kadet Bertin, qui est au Ghana. Aussi surprenant que cela puisse paraître, il est l’un des premiers à avoir reconnu notre défaite et il souhaite qu’on tourne rapidement la page. J’ai aussi rendu visite à ceux qui sont en résidence surveillée à l’hôtel de La Pergola à Abidjan : Alcide Djédjé, Dano Djédjé, Philippe-Henri Dacoury-Tabley… Ils reconnaissent Alassane Ouattara comme chef de l’État et me demandent de plaider leur cause auprès de lui. Ils promettent de ne pas perturber son travail. Certains se mettent même à sa disposition.
Avez-vous des nouvelles du couple Gbagbo ?
Non. On ne m’a pas permis de les rencontrer.
J’en ai parlé avec Charles Konan Banny, qui préside la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation.
Il prévoit d’aller les voir prochainement et m’a promis de tout faire pour que je puisse leur rendre visite.
À quand remonte votre dernier contact ?
J’ai rencontré Laurent Gbagbo quelques jours après le retour de Pascal Affi Nguessan d’Addis-Abeba [rencontre avec le panel des cinq chefs d’État, le 11 mars, NDLR].
Je lui avais conseillé d’accepter le verdict de l’Union africaine.
Laurent Gbagbo a-t-il, selon vous, perdu l’élection présidentielle ?
Il a fini par reconnaître sa défaite.
D’ailleurs, le 11 avril, il a demandé à Désiré Tagro [alors secrétaire général de la présidence, NDLR] de sortir avec un mouchoir blanc.
N’était-ce pas plutôt la reconnaissance d’une défaite militaire ?
C’est la continuation du résultat électoral. Nous avons dénoncé la fraude, dans le nord du pays.
Nous sommes les premiers responsables, car le FPI n’avait pas de représentants dans de nombreux bureaux de vote.
Nous avons réalisé une très mauvaise campagne électorale, mal organisée.
Il n’y avait pas de stratégie, pas de discours cohérent, et trop de personnes étaient en première ligne, avec des moyens colossaux mais mal utilisés.
Certains cadres n’ont pas travaillé ; ils ont détourné de l’argent pour acheter notamment des véhicules.
Le pouvoir leur est-il monté à la tête ?
Le problème, c’est l’usure du pouvoir.
Lorsque nous étions dans l’opposition, on faisait mieux avec moins de moyens.
On rêvait d’une nouvelle Côte d’Ivoire et on déplaçait des montagnes. Dix ans plus tard, nous étions pleins de fric.
On disait qu’on voulait ouvrir le marché ivoirien au monde entier mais, dans les faits, on a fait des deals avec les plus grosses entreprises françaises.
Alassane Ouattara a proposé une vision plus cohérente.
Sur quelles bases faut-il reconstruire le FPI ?
La priorité, c’est de refaire du FPI un grand parti d’opposition.
Cela veut dire qu’il faut dresser un bilan en profondeur, prendre des dispositions institutionnelles, remobiliser les militants et donner des signaux forts aux Ivoiriens, en modifiant complètement notre discours et nos méthodes. Il faut revenir aussi à plus d’humilité et reprendre le travail à la base.
Ensuite, on pourra peut-être penser à organiser un grand congrès du parti.
Que pensez des poursuites judiciaires et des sanctions financières engagées contre le camp Gbagbo ?
La justice n’est pas un problème en soi.
Si Koulibaly ou d’autres sont coupables, ils méritent de payer pour leurs actes.
Mais dans ce cas, il faut enquêter sur tous les crimes de sang et tous les crimes économiques perpétrés depuis 2002.
Je crains que l’on ne prépare quelque chose de spécial pour Gbagbo et ses compagnons.
On peut dire qu’ils ont braqué la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, à Abidjan. Mais les banques ont également été dévalisées dans la zone nord. Si Ouattara cherche à se venger, il va créer de nouvelles frustrations.
Simone Gbagbo a-t-elle persuadé son époux de s’accrocher au pouvoir ?
Je ne pense pas que quelqu’un puisse influencer Laurent Gbagbo. Il est toujours resté maître de ses actes.
Mais tous, les militants, les cadres, se demandent pourquoi il s’est à ce point entêté, à la limite de l’irrationnel.
Pendant la cérémonie d’investiture de Ouattara, je me suis mis à rêver. Laurent Gbagbo était en train de lui remettre les insignes de la République.
Cette passation aurait ancré la démocratie dans notre pays.
Cinq ans plus tard, il avait toutes ses chances pour redevenir président.
Dans quel état d’esprit sont les militants du FPI ?
Ils craignent pour leur sécurité.
Je reçois régulièrement des messages de détresse.
En tant que président de l’Assemblée nationale, avez-vous reçu des garanties du président Ouattara ?
Il a promis d’assurer la pérennité des institutions.
Mais, dans le même temps, il m’a fait savoir que son conseiller juridique considérait que mon mandat avait pris fin avec l’élection du 28 novembre 2010.
Acceptez-vous que le chef de l’État, dont le parti n’a pas de représentants à l’Assemblée nationale, puisse gouverner par ordonnance et par décret jusqu’aux législatives ?
C’est une situation intolérable.
Le mandat des députés expire après l’élection de la nouvelle Assemblée. L
e nouveau président a prêté serment et doit respecter la Constitution.
Il n’a effectivement pas de députés du RDR [Rassemblement des républicains, NDLR], mais ses alliés du RHDP [Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, NDLR] occupent la moitié de l’hémicycle.
Se dirige-t-on vers une hyperprésidence ?
C’est mon sentiment.
C’est la raison pour laquelle nous n’avions pas intérêt à entrer dans ce gouvernement d’union.
Dans ce système, les présidents se sentent obligés d’avoir des « shadow cabinets » pour diriger. Gbagbo n’aurait jamais dû accepter – je le lui avais dit – les accords de Marcoussis, qui sont à l’origine de ce mode de gouvernance.
Quel doit être le chantier prioritaire du nouveau président ?
La refonte de l’armée.
L’insécurité règne et le phénomène de racket est pire qu’avant.
Le président Ouattara a appelé les militaires des deux camps à se considérer désormais comme des frères.
Il faut poser des actes qui le montrent vraiment. C’est comme une maison à reconstruire.
Nous avons les briques.
Encore faut-il qu’elles soient positionnées de manière à ce qu’il y ait des chambres, des toilettes et un salon !
Alassane Ouattara a dit à Nicolas Sarkozy que l’armée française était la bienvenue. Qu’en pensez-vous ?
Nous sommes indépendants depuis plus de cinquante ans. Il n’est pas dans notre intérêt d’entretenir ce type de relation infantilisante.
Les accords de défense devront donc être révisés.
Selon vous, quelles sont les priorités économiques de la Côte d’Ivoire ?
L’État a quasiment disparu. Il faut redéployer l’administration sur l’ensemble du territoire, mais, pour cela, il faut rétablir la sécurité.
On doit aussi faire en sorte qu’il n’y ait plus d’administration parallèle, celle des FN (Forces nouvelles, dans le Nord, NDLR) en l’occurrence.
En fait, ce sont les mêmes problèmes qui se posaient à Gbagbo.
Propos recueillis à Abidjan par Pascal Airault.