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Chronique du lundi – Alassane Ouattara à Paris pour le « forum sur la paix 2023 » :  universalisme et noyau profond de l’identité des peuples et des civilisations
Chronique du lundi – Alassane Ouattara à Paris pour le « forum sur la paix 2023 » : universalisme et noyau profond de l’identité des peuples et des civilisations

Chronique du lundi – Alassane Ouattara à Paris pour le « forum sur la paix 2023 » : universalisme et noyau profond de l’identité des peuples et des civilisations

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Alassane Ouattara à Paris pour le « forum sur la paix 2023 » : universalisme et noyau profond de l’identité des peuples et des civilisations

Chronique du lundi – Alassane Ouattara à Paris pour le « forum sur la paix 2023 » : universalisme et noyau profond de l’identité des peuples et des civilisations.

 

Ce message ne peut pas être détaché des réalités du moment, ni du noyau profond de l’identité des peuples et des civilisations.

Si l’on prend les réalités du moment, la conflictualité domine notre monde ; si l’on prend le noyau profond de l’identité des peuples et des civilisations, les progrès d’une mondialisation qui se construit sur les valeurs occidentales tendent à nier ce noyau profond, ce qui explique la résurgence des identités nationales et conservatrices. 

L’Occident découvre que la mondialisation, contrairement à ce que prophétisait Francis Fukuyama, contient les germes de sa propre destruction.

La mémoire des peuples ne s’efface jamais ; la mondialisation n’a pas de mémoire, elle avance en imposant des valeurs que ne partagent pas toutes les civilisations.

Elle ignore en particulier l’Histoire et sous-estime les réactions de la rue.

Or, dans le monde arabe, les croisades constituent toujours un traumatisme ; en Afrique, le traumatisme de la colonisation demeure.

Penser l’organisation d’un monde apaisé et pacifié, comme prétend le faire le « Forum de Paris sur la Paix » en cherchant « des terrains d’entente sur la gouvernance des espaces communs et des biens publics mondiaux », ne doit pas nous faire oublier l’essentiel, ce noyau profond de l’identité des peuples et des civilisations.

Le programme de ce Forum oublie l’essentiel, lorsqu’il propose, pour garantir la paix, de :

1) lutter contre le changement climatique et les activités humaines

2) garantir la confiance et la sécurité dans le monde numérique

3) réduire les inégalités et accélérer la réalisation des ODD

4) construire la paix et un monde plus sûr.

Qui peut être contre un tel programme dont les conclusions seront publiées dans des rapports qui viendront remplir l’armoire inutile de la pensée occidentale qui entretient l’illusion de son universalisme ?

Les croisades voulaient faire du monde musulman un monde chrétien ; la colonisation « visait à transformer les populations africaines en peuples européens » (1).

Pour reprendre le programme du « Forum de Paris pour la Paix », deux remarques : sur la réduction des inégalités et l’accélération de la réalisation des ODD, les résultats sont faibles.

En 2023, à mi-chemin de leur mise en œuvre, « le rapport d’avancement montre que seuls 12% des objectifs sont sur la bonne voie, 50 % sont faibles ou insuffisants et 30 % sont au point mort ou en train de reculer. »

D’où l’éternel vœu pieu : « Face à cette situation, le Forum mettra en avant des initiatives pour construire un monde plus égalitaire. »

Sur l’idée de « construire la paix et un monde plus sûr », là encore, les vieilles démocraties occidentales vivent dans l’illusion qu’une gouvernance mondiale est possible avec, comme seul objectif, l’instauration d’une paix perpétuelle et, en parallèle, le perfectionnement démocratique des sociétés.

On oublie que la création des Nations unies, une organisation universelle regroupant 192 pays, n’a pas permis d’atteindre encore le projet kantien de paix perpétuelle.

Le monde s’est certes « globalisé », mais il n’existe pas une « gouvernance mondiale », comme il n’existe pas de « civilisation universelle ».

Dans un monde multipolaire, profondément divisé, l’Occident a perdu le monopole de la puissance et il se heurte à des forces émergentes, anciennes (Chine, Russie, Inde) ou nouvelles (monde arabe), qui veulent peser sur l’organisation du monde de demain (2).

En 2023, quelle que soit la région du monde, la scène internationale est plus conflictuelle que jamais avec la volonté de la Russie, la Chine et de l’Islam djihadiste de mobiliser le Sud global contre l’Occident et son universalisme qualifié de décadent.

Faire entendre la voix de l’Afrique sur des questions de Paix

Si Alassane Ouattara se rend à Paris, afin de participer au « Forum sur la Paix », c’est parce qu’il mesure, sur une scène internationale de plus en plus conflictualisée, l’importance des initiatives en faveur d’une paix universelle.

En même temps, il a parfaitement conscience des limites du rôle de « bons offices » que remplissent les conférences mondiales sur la Paix, alors que l’Organisation des Nations Unies, créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ne parvient pas à réaliser son objectif prioritaire : le maintien de la paix et de la sécurité.

Quels sont les constats que fait Alassane Ouattara, qui connaît bien la géopolitique ?

Il existe de nombreuses parties du monde dans lesquelles la communauté internationale ne parvient pas établir la paix et la sécurité (guerre en Ukraine, affrontement Hamas-Israël, conflit soudanais, zone sahélienne, etc.) ; l’Indice de paix mondiale publié en 2023 par l’« Institute for Economics and Peace » diminue pour la 13ème fois en 15 ans.

Les conflits, s’ils restent pour l’instant localisés, prennent de plus en plus la forme de guerres civilisationnelles qui voient s’affronter l’Occident collectif et le Sud global.

L’Afrique a porté le fardeau des guerres idéologiques au moment de la « Guerre froide », elle ne veut pas subir celui des guerres civilisationnelles à l’instant où s’exacerbent les identités nationales et le sentiment religieux.

C’est sûrement le message que voudra faire passer Alassane Ouattara à Paris.

Si le Président ivoirien veut faire passer ce message, c’est pour deux raisons :

1) il se présente à Paris en digne héritier de la philosophie humaniste du Père de la nation, Félix Houphouët-Boigny, dont l’action était toujours tournée vers la réalisation d’un idéal de paix dans les cœurs, dans les sociétés et entre les nations.

Ce qu’il disait, à son époque, est toujours d’actualité :

« De nos jours, plus sans doute qu’au cours des époques successives qu’a traversées l’humanité, la paix mondiale est indivisible. »

Parce qu’il a su installer la Côte d’Ivoire dans les dynamiques actuelles de la mondialisation au plan économique, social, culturel et diplomatique, Alassane Ouattara incarne une voix que la communauté internationale veut entendre.

2) L’obsession du Président ivoirien est de préserver les acquis de sa gouvernance depuis son accession au pouvoir en 2011.

Comment conserver ces acquis et les amplifier, s’il existe dans la société ivoirienne des risques de conflictualité et dans le monde de graves menaces sur la paix ?

C’est pour cela qu’il conduit une politique de réconciliation nationale et qu’il a instauré un dialogue politique inclusif, dont l’actuel Premier ministre, Robert Beugré Mambé, est l’un des symboles.

Dès 2011, Robert Beugré Mambé a milité pour le pardon et la réconciliation, affirmant sans cesse, dans l’esprit même de l’Houphouétisme : « L’essentiel se trouve dans la recherche obstinée de tout ce qui peut œuvrer à la paix »

Le monde bipolaire, qui opposait dans une guerre idéologique sans fin les Etats-Unis et l’URSS, va disparaître entre 1989 et 1991, date de l’effondrement de l’URSS.

Les États-Unis, qui s’installent alors comme puissance unique, cherche à imposer un « nouvel ordre mondial » soumis aux valeurs du modèle occidental libéral et démocratique.

Dans un monde devenu multipolaire, cette domination de l’Occident est désormais contestée par l’affirmation de puissances mondiales (Russie, Chine) ou régionales (Turquie, Iran), la montée des nationalismes et l’émergence d’un islamisme politique radical.

Surgissent alors de nouvelles sources de tensions et de conflits que ni l’Occident, ni l’ONU ne sont en mesure de contrôler.

Parce qu’Alassane Ouattara est devenu l’une des grandes voix de l’Afrique, sa prise de parole à Paris, lors du Forum sur la Paix, est donc attendue. Comment « construire ensemble dans un monde de rivalité » sans l’Afrique ?

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(1) Jean-Baptiste Noé, « L’universalisme est en échec », dans « Le Regard Libre », 2023/1 (N° 92), pages 24 à 28 : « Les Européens ont longtemps cru, du XIXe siècle jusqu’aux dernières décennies, qu’ils allaient exporter leur culture, leurs valeurs et leur mode de pensée à travers le monde.

Or, on se rend compte que beaucoup de populations non occidentales ne veulent pas s’occidentaliser (…).

Cet universalisme est en déclin. Je pense cependant qu’il faut s’en réjouir, car il a conduit à des ingérences et à des guerres. »

Lire aussi l’article de la philosophe Chantal Delsol, « Le Crépuscule de l’Universel », paru dans « Politique étrangère », 2019/1 (Printemps), p. 23-35.

(2) Pascal Boniface et Hubert Védrine : « Atlas des Conflits et des Crises », (Ed. Armand Colin Fayard). Ouvrage très pédagogique qui regroupe par grandes régions les conflits et crises : Europe, Amériques, Afrique, Asie et arc des crises d’Israël à l’Inde.

Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org

par Christian Gambotti    Afrikipresse

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